Le Jardin Du Diable (7)

Publié le par Mamadou Diop

Elle marchait d'un pas assez pesant, un sac en bandoulière, le regard profond. Eussiez-vous été dans sa tête et vous vous eûtes sans doute ahuri du nombre d'interrogations qui pendaient à son esprit calculateur, circonspect, angoissé. Choisir d'aller voir quelqu'un que tout le monde, sa tante y compris, lui proscrit d'approcher « pour son bien » n'est pas chose aisée. Mais ce n'était pas tant la réaction de la communauté qui l'intriguait, c'était plutôt la question de savoir comment le Père Jacob le recevrait, s'il le pardonnerait et surtout s'ils se comprendraient à nouveau.

Elle avait pourtant juré par tous les saints qu'elle ne s'y déciderait qu'une fois prête et maîtresse de sa propre liberté, elle ne put y résister tant il est bien vrai qu'on ne confie jamais au temps sa parole sans qu'il ne s'accorde le loisir d'en voler au moins une toute petite part. Sachant cela ou l'ayant plutôt appris de son père adoptif, elle se résigna à retrouver, ne serait-ce que pour la dernière fois, avant que le destin jaloux ne s'en mêle, celui-ci. La journée commença très mal puisqu'il ne se trouvait pas à son appartement, du moins se le disait-elle après avoir passé une bonne dizaine de minutes à sonner à la porte, à s'impatienter et à rêver à la façon dont se présenterait ce visage qui lui a tant donné pour finalement peu gagné.

Pour l'heure, elle s'était trouvé une harmonieuse jouissance dans le fait d'errer à travers la ville, épiant avidement l'instant où elle le retrouverait nez à nez dans la rue, redoutant par la suite un tel événement, s'interrogeant sur ce qu'il faisait à ce moment et avec qui il était. La responsabilité, ce Dieu moderne, avait carrément anéanti Annette qui ne pensait et parlait maintenant qu'en l'esprit et la voix du Père Jacob. Ce dernier l'eut-il su qu'il ne tarirait point de reproches à son égard car il avait toujours rétorqué à ceux qui l'interrogeaient sur leurs dettes à son endroit que la Nature savait écouter qui l'interrogeait et que cette seule bénédiction le consolait.

Comme elle en était à ces observations, le Jardin du Diable se dressa subitement devant ses yeux et la foudroya de par son galbe et sa physionomie. À tel point que lui revint alors en mémoire un de ces préceptes que le Père Jacob aimait à lui répéter dans leurs moments de confessions et de complicité ténue : « S'il devait arriver un jour, ma fille, où tu me croirais à jamais perdu, dans la distance comme dans le cœur, sache que je ne serai pas aussi loin de ceux qui ont plus besoin d'aide et d'affection que toi. »

Lorsqu'elle franchit le seuil du jardin et erra encore pendant quelques minutes sous le regard inquisiteur et pantois de quelques personnes à l'intérieur, elle aperçut le Père Jacob assis sur un banc, éclatant d'une belle sérénité, les yeux débordant d'une étrange lumière blanche.

Publié dans Nouvelles

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